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À l’inverse de ce que certains pourraient penser, les universitaires ne sont pas que des experts sans humour et déconnectés du monde réel. Ils peuvent aussi faire preuve d’humour, et certains d’entre eux l’utilisent pour mieux communiquer.
En novembre 2015, la revue britannique Times Higher Education a rapporté que des zoo-archéologues de l’Université de Nottingham avaient engagé un comédien de stand-up afin de transmettre plus facilement au grand public les résultats de leurs recherches sur les « interactions entre hommes et poules ». Même si le Times Higher Education s’en est amusé, l’objectif des chercheurs était surtout de prouver que les interactions entre hommes et poules étaient un sujet fort sérieux.
Utiliser l’humour pour générer de la visibilité sur la recherche est moins ridicule qu’il n’y paraît au premier abord. Impliquer le public est la nouvelle marotte du monde académique et les universitaires de la planète entière sont de plus en plus contraints de montrer « l’impact » de leurs travaux. Un nombre grandissant d’universitaires commencent à réaliser le potentiel de la comédie pour délivrer résultats de recherche parfois difficiles à décrypter.
Quand les universitaires montent sur scène
En 2010, deux spécialistes en communication l’University College de Londres ont créé le Bright Club, un club où les « chercheurs deviennent des comédiens le temps d’une nuit ». Le succès de la formule – chaque spectacle propose un mélange de comédiens et de chercheurs – a entraîné la création d’expériences similaires à travers le Royaume-Uni.
L’un des fondateurs du Bright Club, Steve Cross, a créé le site Science Showoff, un « cabaret foutraque pour amoureux de la science ». Il y accueille toutes sortes de spectacles dont de la stand-up comédie, et incite les universitaires à participer.
Il serait facile de se moquer du Bright Club et de ses comédiens amateurs, qui essaient de fuir la monotonie du monde académique le temps d’une nuit. Mais les bons comédiens de stand-up sont capables de réussir le rêve de tout chercheur en sciences humaines : avoir un public avec qui deviser.
L’humour comme outil
En tant qu’anthropologue, Kat Fox assure : « Au mieux… les sciences sociales peuvent quelquefois être aussi éclairantes qu’une bonne comédie de stand-up ».
L’humour peut être utilisé pour interroger les normes sociales, ou faire parler des injustices sociales. Par exemple, quelle meilleure manière d’expliquer ce qu’est un système de classes que de dire : « ce vous faites pour discriminer des gens comme vous » – selon la définition de la comédienne Reginald D. Hunter.
Mais l’humour en sciences sociales et humaines n’est pas seulement destiné à interpeller le public et à illuminer la morne vie de l’universitaire moyen. L’humour a aussi un rôle important à jouer en tant qu’outil d’analyse, et ce serait une erreur que de le négliger vu sa place centrale dans la vie de tout un chacun.
L’humour n’a pas seulement été négligé par les chercheurs en sciences humaines, il est surtout régulièrement rejeté. Être un « universitaire rigolo » semble être un oxymore inacceptable et ceux qui usent d’humour dans leur travail au quotidien prennent le risque de ne pas être pris au sérieux, ou d’être perçus comme des gens triviaux. Même Erving Goffman, l’un des plus grands experts en sciences humaines du XXe siècle, est perçu avec suspicion dans certains cercles pour sa « pétillante » prose humoristique. Beaucoup pourraient s’accorder avec sa manière de se décrire lui même comme un « élégant bluffeur »
Rien de mieux que l’ironie
Les techniques de Goffman se basent sur l’ironie. En retournant les idées reçues et les contradictions qui formatent nos convictions les plus profondes, l’ironie a le potentiel de dévoiler de nouveaux mécanismes théoriques. On peut l’utiliser comme un outil analytique.
Le goût de l’ironie peut être un facteur essentiel pour tout chercheur en sciences sociales. Il souligne
la « loi des conséquences imprévues » qui stipule que « l’action de n’importe qui – et particulièrement le gouvernement – a toujours un effet qui sera inattendu ou imprévu ». Il a été déclaré que par des penseurs éminents (parmi lesquels Adam Smith, Karl Marx et Machiavel) que l’humour est le phénomène le plus important en sciences sociales.
L’ironie va aussi de concert avec le concept d’« incongruité planifiée » dans lequel, à travers une incongruité délibérément induite, le rationnel apparent est miné pour ressurgir sous forme d’ironie.
Par exemple, l’idée formulée par l’économiste américain Thorstein Veblen’s en « incapacité entraînée » – dans le sens où la spécialisation d’une personne peut en fait élargir le spectre de son ignorance.
L’ironie, c’est certain, produit le plaisir induit d’une situation comique et cette dernière peut se relier à deux principes-clés. Celui de « grand contraste » et celui de « loi de l’ironie ». Le principe de grand contraste dit qu’une somme d’idées incongrues procurera un plaisir proportionnel pour le lecteur ou l’auditeur.
De son côté, la loi de l’ironie stipule qu’une déclaration ironique combine un contraste fort et un bon potentiel de chute. Le résultat est plus théorique. Par exemple, le paradoxe de l’utopie qui déclare qu’une utopie, si son objectif est atteint, pourrait conduire à un désastre.
En combinant ces deux idées, on peut voir que le plus grand plaisir est dérivé de la plus grande incongruité, ce qui donne également le plus de résultats théoriques. Cela produit l’inattendu – donc ironique – résultat selon lequel les plus grandes découvertes sociologiques sont celles au meilleur potentiel comique. En d’autres mots… les plus rigolos.
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Cate Watson, Professor in Professional Education and Leadership, School of Social Sciences, University of Stirling., University of Stirling
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.