humour1.com
Image default
Humour

Bon anniversaire, les Simpson !

[ad_1]

La famille au grand complet. Flickr / Leo Reynolds

L’histoire de l’humour est passionnante. Depuis les premiers passages dans les textes de Platon, Aristote ou Cicéron, jusqu’à l’époque contemporaine, les auteurs ne cessent d’opposer une « bonne » et une « mauvaise » façon de rire. Chaque époque a traité de ce sujet différemment, mais les débats sur les enjeux normatifs de ce qui est acceptable ou non en matière de dérision semblent être des invariants historiques. Cela donne raison à Jacques le Goff quand il écrit cette phrase désormais célèbre, issue de son article sur le rire au Moyen Age : « dis-moi si tu ris, comme tu ris […], et je te dirais qui tu es ».

Interroger le permis et l’interdit

Le 17 décembre 2019 marque le 30e anniversaire de l’apparition des Simpson sur les écrans. Série culte dont la popularité n’est plus à démontrer, le dessin animé rit de tout le monde, tout le temps. Toute la société américaine y passe : la police, l’école, les médias, les patrons, les femmes, quitte à parfois questionner les normes de nos sociétés, à interroger le permis et l’interdit. « Vous savez, les gars, un réacteur nucléaire c’est un peu comme une femme, il suffit de lire le manuel et d’appuyer sur les bons boutons » : cette blague sexiste sortie d’un épisode des Simpson de 1995, laisserait-elle le public indifférent aujourd’hui ? Aujourd’hui ces questions ne sont plus simplement que des débats de comptoirs. De nombreuses études interrogent les effets de l’humour et en pointent les conséquences indésirables.

L’humoriste Indo-Étasunien Harris Kondabolu y dénonce l’utilisation du personnage d’Apu Nahasapeemapetilon pour renforcer les stéréotypes racistes qui entourent la communauté sud-asiatique des États-Unis. Son propos fait écho à une série de travaux qui montrent que l’humour peut renforcer des préjugés sexistes ou racistes. Le postulat de ces recherches peut s’exprimer comme tel : une série de propos déplacés continuent à être tolérables parce qu’ils sont tenus sous l’alibi de l’humour innocent.

Explosion de la caisse de résonance

Les Simpson ont 30 ans et c’est peu dire si le monde de la télévision et des médias en général a beaucoup évolué en trois décennies. Aujourd’hui, des recherches de terrain montrent que les réseaux sociaux sont les principaux censeurs des humoristes.

« On me dit que des juifs se sont glissés dans la salle » est une réplique culte de l’humoriste Pierre Desproges. En 1986, il commença son spectacle avec cette affirmation. Si à l’époque, l’entrée en matière de l’humoriste ne fait pas polémique, c’est parce qu’il s’adresse à un public qu’il connaît et qui le connaît. La grammaire humoristique utilisée est comprise par tous. Aujourd’hui, c’est différent. Des humoristes radio peuvent voir leur sketch repris via les réseaux sociaux vers un public qui n’a pas les clés du second degré, ce qui change tout de la réception d’un message.

Alors qu’il était maintenu dans sa « zone de confort » précédemment, avec les réseaux sociaux, le message humoristique adressé à une cible définie devient un message adressé à tous : les codes ne sont pas assimilés, et le second degré n’est pas compris, la blague fait alors polémique.

Dans le cas des Simpson, l’univers construit en 1989 comprenait une multitude de références destinées à un public restreint : la classe populaire américaine de cette époque. Si la série s’est très rapidement adressée à une audience beaucoup plus large, certains des codes qu’elle utilisait sont aujourd’hui anachroniques, rendant l’univers de moins en moins accessible pour les nouvelles générations qui chercheraient à se l’approprier.

Qui est la cible ?

Face à la satire, il est essentiel de se poser la question suivante : le message vise-t-il un groupe minoritaire ou une majorité bien assise ? En effet, lorsque l’humour permet à la classe dominante de réaffirmer son pouvoir par l’alibi d’un discours comique, aux sonorités positives, celui-ci enfile un costume « conservateur » qui permet de continuer à marginaliser les groupes minoritaires : les femmes, les homos, les étrangers…

Ce que Harris Kondabolu dénonce dans son documentaire n’est pas l’humour caricatural des Simpson contre les riches ou les policiers, mais bien les attaques racistes qu’il a subies durant sa vie et qui s’appuyaient sur les stéréotypes véhiculés par le personnage d’Apu. Un personnage qui pour ses camarades issus de la classe moyenne blanche, n’était pas un cliché raciste, mais une simple blague.

Relire les débats sur l’humour grâce aux Simpson

Aujourd’hui, la tension normative entre ce qui est accepté et refusé en matière d’humour est toujours d’actualité. Dans le magazine hebdomadaire Le 1, l’humoriste Alex Vizorek confrontait l’humour de ventre, scatologique et gras, avec l’humour de tête, plus raffiné et intellectuel. Il s’agissait d’opposer un rire partagé par tous, avec un rire dont les références étaient nécessaires pour y avoir accès.

Avec les débats sur l’humour sexiste, très présent aujourd’hui depuis les mouvements #MeToo l’humour arrive à un point crucial de son existence. Il est établi par de nombreux travaux que lorsqu’il vise des cibles minoritaires, il tend à renforcer le rapport de force existant dans une société, par exemple en rendant acceptables, des idées racistes ou sexistes qui seraient condamnées si l’humour ne les rendait pas légitimes par son cadre bienveillant. En revanche, l’humour peut aussi dénoncer des inégalités en s’attaquant aux plus forts, et en permettant aux groupes minoritaires de rééquilibrer momentanément le rapport de force.

30 ans après, les Simpson s’inscrivent dans ces deux visages de l’humour. Le dessin animé propose tant une caricature des plus puissants comme celle de monsieur Burns, responsable de la centrale nucléaire, que de groupes plus minoritaires, comme le mentionnait Harris Kondabolu. Le dessin animé n’a ainsi pas perdu son actualité puisqu’il permet une exploration critique des deux visages de l’humour.


Cliquez ici pour retrouver le dossier « 12 mois,12 experts » de l’Université Libre de Bruxelles.

The Conversation

Guillaume Grignard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

[ad_2]

Guillaume Grignard, Chercheur FNRS en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

A lire

La liberté d’expression défendue par Emmanuel Macron peut-elle s’affranchir de toute responsabilité sociale ?

adrien

L’humour au temps du coronavirus

adrien

Les chats sont‑ils liquides ou comment j’ai obtenu le prix Ig Nobel

adrien

mieux vaut rire que périr ! 

adrien

Sept bonnes raisons de ne pas répondre (tout de suite) aux e-mails

adrien

Ukraine : la guerre des mèmes

adrien